Louise
Il restait pas mal de choses à faire avant que Louise ne parte en vacances le lendemain. Mais pour l’instant elle traversait en autobus ce coin de banlieue ou elle n’était pas revenue depuis des années, bien qu’y ayant vécu plus de dix ans. Seul le hasard d’une course imprévue l’avait amené ici de nouveau, et dans le bus qui la ramenait chez elle, elle remarquait à quel point ce coin de banlieue –en apparence- avait changé.
Les quartiers pavillonnaires grisâtres datant des années ’50, éclairés la nuit par des lampadaires faiblards avaient laissé la place à des immeubles neufs pour jeunes cadres des années 2000. Les anciens habitants : des familles d’ouvriers et d’employés, des petits malfrats reconvertits dans les casses autos et les bars PMU, leurs enfants fans de DS, de Malagutti et des années 50 avaient été repoussés plus loin. Une bonne partie de cette descendance devait aujourd'hui bosser dans des boites d’intérim, comme agents de sécurité ou dans des hypermarchés… s’ils avaient un boulot en tout cas.
De jeunes couples souvent équipés d’une poussette les avaient remplacés, pour un premier accès à la propriété immobilière. Ici et là restaient quelques îlots de vieux paves grisâtres, aux volets déglingués, aux arrières cours pavées ou des touffes d’herbes poussaient encore dans les interstices, entre de vieux pneus ou quelques bidons d’huiles. Le tout attendait la démolition qui leur était promise.
Louise remarqua que la boutique ou elle avait acheté sa première et unique mobylette avait disparu, remplacée par une agence immobilière. C’était le patron en personne qui à l'époque lui avait vendu sa mobylette. Bien que pas bien vieux il arborait déjà un ventre plus que proéminent. On aurait pu le prendre pour un chanteur d’opéra si ce n’était cette énorme touffe de cheveux façon Jackson 5 qui ne pouvait appartenir qu’à lui, d’autant plus qu’il était roux.
Louise se souvenait qu’une immense photo en noir et blanc habillait tout un mur de la boutique : un pilote de moto photographié en pleine action pendant une course. La mère du patron lui avait avoué avec un air de satisfaction tout juste couvert par un accent 100% titi banlieusard « C’est mon fils !», en désignant le géant roux. Louise avait regardé le fiston format double mètre cube désormais, étonnée qu’il ait effectivement pu un jour tenir dans l’objectif du photographe.
Aujourd’hui la boutique avait disparu. Une agence immobilière de plus pensa Louise. A part les traiteurs Chinois, rien ne s’inscrivait au registre du commerce plus rapidement que les agences immobilières. Louise s’était fait la remarque que ce qui ne changeait pas dans cette banlieue (et probablement ailleurs) c’était les noms ridicules des programmes de construction : Les Terrasses du Verger, Les Granges de La Vallée aux Loups, Le Parc du Moulin Neuf, etc, etc…
Le bus roulait toujours. Perdue dans ses pensées Louise ne remarqua pas qu’elle aurait pu distinguer un peu plus haut dans la montée, l’immeuble et l'appartement ou elle avait passé toute son adolescence. Elle n’eut donc pas à se rappeler la promesse qu’elle s’était faite en y entrant pour la première fois : pas le moindre regard en arrière le jour ou elle en partirait pour ne plus y revenir.
Le bus s’éloignait, Louise tint sa promesse une seconde fois sans même s'en apercevoir.