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LaVitaNova

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25 septembre 2007

La Mouette Sur Le Cocotier

Louise était rentrée dans l’appartement qu’elle occupait depuis son retour en France, l’appartement de Betty. Elles s’étaient rencontrées sur leur lieu de travail commun, quand elles étaient étudiantes. Un de ces innombrables boulots à la con qui attendait les étudiants désargentés comme autant de moutons à tondre. Un job de télévendeuse ou le lundi on essayait de fourguer des cuisines équipées, le mardi ou faisait un sondage politique ou pour une boite de com’, le mercredi on demandait à des voyageurs en business class s’ils préféraient un verre de champagne ou de jus d’orange avant le décollage. Ca payait la chambre de bonne, les sandwiches du midi, ou le ciné du vendredi soir.

A cette époque Louise projetait déjà de partir courir le monde, sans savoir encore vraiment comment elle allait s’y prendre. Betty, elle, était bien plus sage. Elle se préparait à devenir dentiste, portait un serre tête sur ses cheveux bruns et raides, des polos Lacoste sur des jupes longues en laine, une paire de lunettes à monture en écaille. Un rêve de Versaillaise…
N’empêche… Quand Louise s’était fait prendre pour avoir appelé 37 fois l’horloge parlante dans la journée, et virée sur le champ, Betty avait été la seule à prendre sa défense face au superviseur du plateau apoplectique qui brandissait son relevé informatisé des appels journaliers en traitant Louise de connasse et de bonne à rien.
Elles avaient été virées toutes les deux séance tenante, et étaient allé fêter ça en buvant quelque chose de fort dans un pub Irlandais. Depuis elles étaient restées amies. Louise était partie à l’aventure à l’étranger, Betty était devenue dentiste un peu envieuse de la liberté que s’octroyait Louise. Le hasard avait fait qu’avant son retour, Betty apprit à Louise qu’à son tour elle allait partir, en Bolivie, et aller de village en village pour enlever les chicots des vieux, poser des couronnes aux adultes, et des appareils dentaires aux enfants.

Louise pouvait occuper son appartement pendant au moins un an, ce qui arrangeait bien ses finances malgré le petit pécule qu’elle avait accumulé en prévision de son retour. En échange Betty n’avait demandé qu’une seule chose, prendre soin des plantes vertes. Sa marotte. Betty avait laissé des instructions sur des petites fiches cartonnées accrochées aux pots de terre, aux jardinières et aux serres qui encombraient le petit deux pièces acheté peu après l’obtention de son diplôme de chirurgien dentiste : Nertera Granadensis, Clerodendrum Thomsoniae, Medinilla Magnifica, Sempervivum Arachnoideum… Louise était en passe de faire de grand progrès en botanique.
Trempée par la pluie battante elle alla s’asseoir au petit bureau et entreprit un examen attentif de ses trouvailles :

la Mouette

de Tchekov, la lettre de Titi avec au verso tout un tas de chiffres incompréhensibles. Elle décida de voir s’il n’y avait pas un code entre les chiffres de la lettre et le livre. Elle essaya avec le nombre de lettres, de mots, la pagination, les paragraphes, un mélange de l’un ou l’autre… En combinant la lettre de Titi, les chiffres au verso et le livre... Ca ne menait nulle part, après plusieurs heures d’efforts, pas le moindre début de phrase ou même de mot. Rien n’y faisait. Il n’y avait sans doute aucun rapport entre la lettre et le livre.
Les chiffres paraissaient être des séries de 5 chiffres sans rapport entre eux. C’était peut être des références, mais des références de quoi. Le livre ne contenait rien de spécial à part le nom de Trepliev, stabiloté en jaune fluo des sa première entrée. C’était maigre.
Titi n’avait pas tenté de lui passer un message, et d’ailleurs pourquoi aurait il essayé ? Mais alors pourquoi toute cette mise en scène ? Et pourquoi cet homme l’avait il abordé dans ce bar ? L’avait il suivi ? Mais depuis quand et pourquoi ?
Perplexe, Louise s’abîma dans la contemplation du poster géant de plage tropicale et de cocotier qui occupait tout le mur face à elle. La photo avait jauni, le poster avait dû être posé bien avant que Betty n’y emménage. Tout l’appartement avait été repeint, sauf le mur au poster tropical. Louise pensa que Betty avait plus de goût en matière de plantes vertes qu’en déco d’intérieur. Et puis elle se rappela les mots de l’homme dans le bar : « Titi n’avait plus toute sa tête » avait-il dit.
Est-ce-que c’était vrai ? Est-ce que Titi lui aurait fait faire tout ça parce qu’il avait perdu la raison ? Mais alors pourquoi des menaces voilées pour récupérer le livre ? Pourquoi toutes ces complications ?


Et dire que je devrais partir en vacances soupira Louise. Elle attrapa le téléphone et composa le numéro de Franck, le frère aîné de Titi.
- Franck, c’est Louise.
- Salut Louise.
- Je ne te dérange pas ? Ca va ?
- Ca va, les enfants sont couchés.
- Tu sais, Titi m’a envoyé une lettre et un livre. Tu étais au courant ?
- Non. Mais tu sais, il a souvent parlé de toi les derniers jours. Je crois qu’il ne t’avait pas oublié. Il espérait te revoir.
- Oui… Vraiment je regrette d’avoir appris tout cela trop tard. Excuse moi mais est ce que tu as remarqué quelque chose de spécial quand il était à l’hôpital ? Peut être que les médicaments… enfin… euh… Il était peut être très fatigué par les médicaments ?
- Non, non. Il avait toute sa tête, à l’hôpital je me souviens même de la fois ou il a réussi à bidouiller l’électrocardiogramme pour faire une blague aux médecins.
- Ca ne m’étonne pas de lui !
- Oui, j’étais là ce jour là. Le médecin de garde était furax avec l’électro qui faisait des bips dans tous les sens. Heureusement, il y avait cette infirmière qui s’occupait de Titi, une petite Québecquoise… Je crois qu’elle avait un petit faible pour lui. Tiens à propos, elle n’arrêtait pas de lui amener des bouquins. Je n’avais jamais vu Titi lire autant. Ils passaient pas mal de temps à discuter aussi. Tu l’as peut être vue, elle est venue à l’enterrement.
- Ah bon ? Non, je n’en savais rien. On s’est peut être croisée sans savoir.
- Une fille sympa, je me souviens qu’elle m’a dit que les meilleurs médecins devraient être écrivains. Je me demande pourquoi ?
- Pour écrire comme Tchékov ?
- Quoi ?
- Non, ça fait rien. Merci Franck. Merci encore.
- De rien Louise. Si tu peux passes voir les parents, je suis sûr que ça leur ferait plaisir, surtout en ce moment.
Louise fixa le palmier qui s’allongeait au dessus du lagon tropical. Elle avait l’impression que le tronc se balançait doucement au dessus des vagues. "Anton Tchékov" murmura t’elle.



p7206

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5 septembre 2007

La Pooorte !

Louise pressa le pas et s’éloigna un peu plus loin dans la rue, jusqu’au premier bar au coin du carrefour. C’était un de ces bars à l’ancienne, un de ces survivants qui de plus en plus laissaient leur place à des cafés à la déco plus tendance, au verre de vin à 5 euros, aux plats du midi salé-sucré, aux murs repeints en parme et ardoise (peinture à pigments naturels), aux serveuses et serveurs étudiants en jean taille basse et baskets vintage. Ce survivant là méritait pleinement son titre de « rade » : zinc en cuivre brillant, tables en formica rouge, chaises en bois aussi fatiguées que les banquettes en moleskine bordeaux qui leurs faisaient face. Les serveurs devaient tous avoir 30 ans d’ancienneté, le plus jeune étant le chien du patron qui se traînait doucement d’un coin à  l’autre du comptoir, semblant traîner un ennui sans fin.

Louise poussa la porte, et alla s’asseoir à une petite table installée le long de la devanture. « La poorte » beugla un des rares mais certainement fidèle pilier de bar, attardé –déjà- à cette heure matinale devant son cinquième ou sixième blanc limé. La porte qu’avait poussé Louise devait jouer, elle ne se refermait plus. Louise allait se lever pour la refermer quand un serveur arrêta son geste :
- « Laissez ma p’tite dame, je vais aller refermer. Qu’est ce qu’on vous sert ?
- Un chocolat chaud s’il vous plaît.
- Henri ! Un chocolat chaud pour la demoiselle ! Fait pas chaud hein ? » dit il en refermant la porte d’un coup d’épaule.

Louise posa le petit paquet enveloppé de papier kraft devant elle. Et elle commença à le déchirer au moment ou le serveur lui apportait son chocolat. A l’intérieur, un livre et rien d’autre : La Cerisaie de Tchékov. Qu’est ce que ça voulait dire ? Louise n’y comprenait rien. Pourquoi Titi l’avait il envoyé chez le Grand Argentier récupérer un livre quelques semaines avant de mourir. Ca n’avait aucun sens, et ce livre encore moins. Et ce n’était pas tout… Louise ressortit la courte lettre que Titi lui avait écrite. Au verso de la feuille il y avait une série de chiffres, incompréhensibles… et maintenant ce livre. Elle le feuilleta rapidement, à la recherche de quelque chose, une feuille entre les pages, des signes, quelque chose qui aurait pu l’aider à comprendre, un message, une indication. Mais rien. Juste La Cerisaie, que Louise n’avait jamais lu. Elle ignorait que Titi lisait de la littérature russe. A vrai dire elle ignorait que Titi ait continué à consacrer un peu de son temps à lire. Elle l’imaginait bien plus en train de fabriquer indéfiniment ses combines, comme une extension adulte des blagues qu’il ne cessait jamais d’inventer pendant leurs adolescences.
- « La pooorte ! »
Le grognement renouvelé du pilier de bar sortit Louise de sa rêverie songeuse. Devant elle se tenait l’homme qui venait d’entrer, déclenchant l’ire de l’habitué qui ne devait pas être accoutumé à tant de traffic dans « son » bar. Sans façon l’homme tira la chaise face à Louise, et s’assit :
- Bonjour mademoiselle.

Interloquée, Louise s’entendit répondre un « On se connaît ?» un peu hasardeux.
- Ne vous inquiétez pas mademoiselle, je veux juste vous parler un instant. A propos de ce paquet ajouta t’il en montrant du doigt le livre de Tchékov et son emballage en papier kraft.
- … ?!... Mais qui êtes vous ? Et que voulez-vous ?
- C’est sans importance. Je vous le répète, je veux juste vous parler un instant. Répéta t’il posément une nouvelle fois.
L’homme devait avoir une cinquantaine d’année, le cheveux rare, l’embonpoint naissant, une allure et des vêtements passe partout, « une tronche à bosser aux impôts » pensa Louise.
- En quoi cela vous concerne monsieur ? répondit Louise.
- Moi ça ne me concerne pas. C’est vous que cela concerne. Je ne suis là que pour vous dire que ce livre n’a aucun intérêt pour vous. Et pour vous conseiller de vous en débarrasser, tout simplement.
- Mais qu’est ce que vous me racontez ! Je crois que vous devriez vous en aller monsieur.
- Ne vous arrêtez pas à cette réaction impulsive mademoiselle. Je vous assure que je ne vous veux aucun ennui. Simplement, il s’agit en quelque sorte d’une erreur voyez-vous ! Ce colis n’a aucune utilité pour vous. A la fin votre ami n’avait plus toute sa tête malheureusement…
Louise le coupa :
- Je ne comprends rien à ce que vous me racontez. Je ne vous connais pas. Vous débarquez comme ça, vous vous adressez à moi sans raison. Alors s’il vous plaît, expliquez-vous ou allez vous-en.
- Bien. Disons simplement que je ne suis venu que pour vous avertir alors. Au revoir mademoiselle.
L’homme se leva, et s’éloigna vers la sortie laissant Louise complètement interloquée. Elle ramassa la lettre, le livre à moitié enfoui dans son emballage kraft, chercha un peu d’argent dans son porte monnaie pour payer son chocolat, un peu énervée.
- « Laaa Poooorte » beugla à nouveau le naufragé du petit blanc arrimé au comptoir, au moment ou l’homme sortait du bar et disparaissait d’un pas rapide dans le carrefour pluvieux.

laporteparadis

30 août 2007

Dling !

Dling !
Le bruit mat de la sonnette de l’entrée paraissait prévenir d’un état des lieux préalables. Un pavillon cossu de la banlieue ouest, un jardin au gazon fraîchement coupé ou une petite voiture d’enfant multicolore en plastique semblait ne marquer qu’un désordre tout relatif somme toute.
Voilà donc ou vivait désormais le « grand argentier » pensa Louise. Le petit mot de Titi ne lui disait que ça : « retrouve le grand argentier, il sait ce qu’il a à faire ». C’était plutôt curieux et énigmatique, mais justement, poussée par la curiosité –Titi avait il compté dessus ? – Louise avait ajourné ses vacances, et après quelques minutes de recherches, avait retrouvé les coordonnées du grand argentier. Un court coup de fil avait fait le reste : « C’est toi ! avait répondu le grand argentier. Passes demain, je serais à la maison ».
Pour l’occasion, en souvenir de leur jeunesse proto-révolutionnaire, Louise avait ressorti son béret rouge, le même que portait souvent le grand argentier en référence à Jipé, le chanteur des Innocents avec qui il partageait un physique dégingandé.
Ca doit bien faire 15 ans, pensa Louise au moment ou le « bzzz » de l’ouverture de la porte se déclenchait. Le temps qu’elle franchisse l’allée proprement gravillonnée –comme si elle venait d’être repassée- Grand Argentier avait était apparu pour l’attendre sur le pas de la porte. Il eut un bref sourire sans que Louise ne sût dire si c’était de la revoir, ou à la vue du bonnet rouge. Ils s’embrassèrent brièvement à la porte, et en la faisant entrer, il dit « C’est loin tout ça. » Tout ça, c’était Louise, le béret, ou les deux ?
Le pavillon était aussi cossu à l’intérieur qu’il paraissait l’être à l’extérieur. Du parquet ciré, de vieux meubles en bois massifs ou Louise reconnaissait ici et là des robots jouets que le grand argentier avait longtemps collectionné. Une bibliothèque, un piano, des pièces lumineuses, des tapis épais, un seul mur couvert de tableaux anciens et modernes ou Louise pensa reconnaître un Soulages noir sur noir. Et d’autres jouets multicolores éparpillés un peu partout.
« Alors tu es père de famille ? » demanda Louise.
« Oui, ça fait 3 ans, et le prochain est pour dans 6 mois. »
« Félicitations »…. Un blanc que Louise meubla d’un maladroit (pensa t’elle aussitôt) « Ca fait longtemps… ».
« Tu peux le dire ! Tu veux boire quelque chose ? »
« Un jus de fruit si tu as. Sinon, un verre d’eau. »
Grand argentier s’éloigna et revint quelques instants avec deux verres. « Jus de pomme » dit-il « Si je me souviens, c’est ce que tu buvais avant ».
« Et je continue » répondit Louise.
Devançant les questions qu’elle se posait, Grand Argentier lui dit ce qu’elle essayait de percevoir :
-Tu sais, pour moi c’est loin tout ça. Comme toi, ça doit bien faire 15 ans que je n’avais pas eu de nouvelles de Titi. Et franchement, je n’ai pas cherché à en avoir. A part ce colis que j’ai reçu pour toi de sa part il y a une quinzaine de jours. Ca m’a même surpris. Il n’avait pas ton adresse ?
-Non, j’ai pas mal bougé ces dernières années et depuis quelques mois je suis dans l’appartement que me prête une amie. Il aurait eu peu de chances de me trouver. Mais il a fini par dégotter –je me demande bien comment- mon numéro de portable. C’est son frère ainé qui m’a appelé juste avant la fin.
-Je ne savais même pas qu’il était si malade.
-Moi non plus.
Un silence…
- Alors ? Tu es toujours grand argentier ? Demanda Louise dans un sourire.
- Rangé des voitures, marié, père de famille, dans les affaires, installé comme on dit répondit il.
Louise sourit, repensant au Grand Argentier qu’elle avait connu. Celui qui venait d’une très bonne famille avait finalement décidé d’y retourner. Révolu, classé et oublié l’époque ou en rupture de ban permanente il côtoyait toute la petite bande.
Son surnom lui était venu de sa capacité à renflouer et financer les délires les plus hasardeux du petit groupe qui l’avait adopté. Il faisait rire tout le monde avec sa manie de tenter d’échapper à ses manières de jeune homme bien élevé et un peu vieille France en assortissant chacune de ses phrases des grossièretés les plus diverses, pour espérait il, avoir l’air plus dégourdi qu’il ne l’était.
« Passes moi cette putain de bière que j’écluse quelque chose avec ces pâtes de merde », « Bonjour tout le monde, vacherie de merde », « Saloperie de voiture de sa race, encore en panne »…
Désespérés, les parents de Grand Argentier n’en continuaient pas moins à alimenter le compte en banque de leur fils unique, qui précisément pour cette raison n’en continuait pas moins à les traiter par le mépris qu’il vouait à ces bourgeois. Aaah si seulement ils l’avait foutu dehors en lui coupants les vivres. Il aurait pu se réfugier chez les parents de Titi, scandalisés pourtant par ses manières désinvoltes, son attitude j’men foutiste, et son parler pseudo-populo, qui avait le don de les agacer au plus haut point. Les parents de Louise prenaient ça plus à la rigolade quand ils le rencontrait, mais poussait quand même un grand ouf de soulagement quand il se décidait à réintégrer le studio-bordel (comme il l’appelait) que ses parents lui avait acheté cash.
Ca avait duré ce que ça avait duré, 5 ou 6 ans quand même. Et puis pratiquement du jour au lendemain, sans raison connue en tout cas, Grand Argentier avait réintégré son monde. En moins d’un an il avait repris l’étude notariale de son père, épousé une jeune fille unique elle aussi, du même milieu que lui, et avait acheté ce grand pavillon ou il vivait désormais. Il avait viré sa vieille Fiat 500, ses jeans et ses cuirs, tout sauf –finalement- sa collection de robots en métal.
Louise, Titi, Sam, Toubib et les autres avaient du jour au lendemain disparu de ses fréquentations et de ses connaissances. Louise avait envoyé quelques cartes pour Noël ou son anniversaire auxquelles il n’avait jamais répondu, et puis Louise aussi de son côté était parti vivre sa vie.
Face à lui aujourd’hui Louise ne savait pas trop s’il était content de la revoir, ou si au contraire sa visite ne venait pas amener un peu de désordre dans une vie qu’il s’était acharné à rendre la plus lisse et raisonnable possible. Elle se rappela aussi les moments ou il avait souhaité partager avec elle plus que les litres de Jenlain qu’il ingurgitait quotidiennement. Elle s’était toujours demandée si cela n’avait pas été une des raisons de son adieu au petit groupe.
Grand Argentier interrompit ses vacances.
« Tu sais, je n’ai pas beaucoup de temps, Eliette doit revenir avec la gosse et on part en week end chez les parents. Je vais te chercher le colis que m’a envoyé Titi, OK ?
- Oui, bien sûr, je ne veux pas t’ennuyer, répondit-elle. »
Grand Argentier partit, revint quelques instants plus tard avec un petit colis emballé de papier kraft.
« Voilà. » dit-il, visiblement pressé d’en finir.
- Bon, et bien alors… j’y vais. Content de t’avoir revu.
- Moi aussi.
Louise franchit une nouvelle fois le portail au « bzzz » déclenché de l’intérieur de la maison. Elle s’engagea dans la rue, le colis de Titi sous le bras, un peu abattue par la froideur de Grand Argentier. Quelques dizaines de mètres plus loin elle croisa une jeune femme, suivie en arrière d’une petite fille très occupée à jouer dans le caniveau ou un micro torrent d’eau déclenché par la voirie déboulait dans la pente. Passant à leur hauteur, elle entendit la maman s’adresser à sa fille : « Louise, dépêche toi, Papa nous attend pour partir ».
Elle eut un petit sursaut en entendant le prénom, et continua sa route.

LBrooks

Louise Brooks dans "The Street Of Forgotten Men"

17 juillet 2007

Edith

Comment, si vous aviez été dans ce bus, auriez-vous pu reconnaître Louise ?
Louise aime les chapeaux et il est rare qu’elle n’en porte pas un. Surtout les bérets qu’elle collectionne. Aujourd’hui c’est un béret en feutre mauve, avec une fleur en forme de cœur piquée sur un des côtés.
Sinon, si je devais vous décrire Louise je pourrais vous dire qu’elle aime toutes les saisons, que son idéal n’est pas une île déserte ou le ciel est inexorablement bleu chaque jour : elle aime la pluie, le vent, le soleil, le froid vif, les orages et les premiers jours de printemps. Elle est frileuse, n’aime pas les sacs à main, et encore moins les parapluies. Elle tient ses cheveux bouclés serrés avec tout un tas de peignes et d’épingles à cheveux, elle aime lire seule dans les cafés, elle porte toujours le même parfum, se maquille à peine. Et enfin tout en étant d’un naturel réservé elle est d’une franchise désarmante avec quiconque lui adresse la parole.

Pour résumer Louise, le mieux serait de dire que si ce n’est pas forcément quelqu’un qu’on remarque immédiatement, c’est en tout cas pour ceux qui la rencontre, quelqu’un qu’on n’oublie pas.

Pour le moment Louise saisit le morceau de papier, preuve de la seule raison de son retour éphémère dans la banlieue de son enfance. C’est un dernier cadeau, la seule chose qui lui reste d’une amitié désormais enterrée au cimetière intercommunal.
Depuis combien de temps n’avait elle pas revu Titi ?
Tout à l’heure elle n’avait pas pu s’empêcher de rire en voyant les lapins détaller à travers les tombes du cimetière pendant qu’une petite troupe accompagnait Titi pour sa dernière virée. « Ca l’aurait fait rire » avait elle pensé. Le frère de Titi s’était approché d’elle et lui avait tendu une enveloppe un peu chiffonnée en lui disant « Titi voulait que ce soit pour toi ». Elle avait pris l’enveloppe, l’engouffrant dans sa poche, remerciant d’un sourire tandis que le reste de la famille la dévisageait avec une indifférence un peu hostile.

Ils n’avaient donc toujours pas oublié depuis le Lycée Marcel Cachin pensa Louise. « Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes » se rappela t’elle. Cette bonne blague qu’ils s’échangeaient, elle et Titi comme un leitmotiv pendant leurs années au lycée Marcel Cachin, qui était aussi à l’origine de sa brouille avec les parents de Titi. Pourtant ils s’aimaient beaucoup.

Pour être communistes, les parents de Titi étaient communistes : vente de l’Huma (et de Pif Gadget), réunions de cellule, manifs, tracts et banderoles… La municipalité communiste où ils vivaient envoyait Titi et tous ses frères et sœurs en colo, à la piscine, au cinéma, en voyages en Bulgarie… tandis que Louise, qui habitait la commune à côté devait plutôt compter sur le patronage auquel de toute façon elle refusait de se rendre.
Oui, les choses s’étaient gâtées au Lycée Marcel Cachin ou officiait en tant que Proviseure la fameuse Edith, également femme du Maire de cette commune, « rouge » depuis la libération. En communiste convaincue et surtout en authentique Stalinienne disciplinée Edith estimait que pour que le peuple reste Communiste (et continue à voter pour son mari), il ne devait pas s’enrichir mais continuer à dépendre des bonnes œuvres prodiguées par les camarades. Dans la même logique elle mettait un point d’honneur à orienter les gosses vers les métiers manuels les moins bien valorisés, afin qu’ils restent bien au chaud, ensemble, dans la grande famille du prolétariat révolutionnaire.
Titi, bien que je m’en foutiste, dilettante et grand fabricants de tours pendables n’était pas dépourvu d’intelligence et d’une mémoire qui lui faisait retenir de façon photographique presque tout ce qu’il lisait. Il aimait lire, il aimait l’histoire, il aimait comprendre. Il n’y a que les résultats scolaires dont il se fichait éperdument.
Louise le taquinait tout le temps, et l’encourageait à ne jamais envisager l’école que comme un lieu d’expérimentations pour farces et attrapes. Il pouvait aller très loin, envisager des études prestigieuses, tout en continuant à rigoler !

C’était sans compter avec Edith, qui avait décidé d’envoyer Titi en BEP mécanique au nom du centralisme démocratique: garagiste quel beau métier !
Louise s’était bagarrée, avait tempêté, ragé… Mais que pouvait elle faire… Elle n’avait que 2 ans de plus que lui…
Le grand final avait eu lieu un après midi ou elle était allée retrouver Titi chez lui, accueillie à bras ouverts –comme d’habitude- par ses parents. Mais Edith était là, parée de l’aura de sa Nomenklatura de banlieue, elle était venue définitiviment persuader les parents de Titi que rien n’était mieux pour lui que la mécanique.
Louise avait tenté d’emporter le morceau, avait crié et tempêté une nouvelle fois : oui Titi aimait apprendre, et il pouvait devenir avocat, médecin, ingénieur ou je ne sais quoi, mais quelque chose qui lui ouvrirait la porte d’une nouvelle vie. Excédée Edith avait fini par lâcher l’arme fatale « De toute façon qu’est ce que tu y connais, d’où tu viens toi, tu n’es qu’une petite bourgeoise même pas d’ici ». Le rappel aux racines et à la fidélité fait aux parents de Titi avaient emporté le morceau.

La colère de Louise n’avait servi qu’à créer une barrière entre elle et les parents de Titi, elle n’était pas du même monde finalement. On n’échappe pas aux préjugés de classe. Leur décision était prise, et cet idiot de Titi, lui il s’en foutait.
Louise regardait l’enveloppe, blanche, seulement marquée au feutre noir d’un « Louise ». Elle pensa que peut-être les parents de Titi lui en voulaient encore, finalement, de ne pas l’avoir cru, elle. Et qu’il la rendait responsable d’une faute qu’au fond ils savaient être surtout la leur. Et Edith… « Quelle conne celle-là » se dit Louise, en ouvrant l’enveloppe.

tout_communistes

11 juillet 2007

Louise

Il restait pas mal de choses à faire avant que Louise ne parte en vacances le lendemain. Mais pour l’instant elle traversait en autobus ce coin de banlieue ou elle n’était pas revenue depuis des années, bien qu’y ayant vécu plus de dix ans. Seul le hasard d’une course imprévue l’avait amené ici de nouveau, et dans le bus qui la ramenait chez elle, elle remarquait à quel point ce coin de banlieue –en apparence- avait changé.

Les quartiers pavillonnaires grisâtres datant des années ’50, éclairés la nuit par des lampadaires faiblards avaient laissé la place à des immeubles neufs pour jeunes cadres des années 2000. Les anciens habitants : des familles d’ouvriers et d’employés, des petits malfrats reconvertits dans les casses autos et les bars PMU, leurs enfants fans de DS, de Malagutti et des années 50 avaient été repoussés plus loin. Une bonne partie de cette descendance devait aujourd'hui bosser dans des boites d’intérim, comme agents de sécurité ou dans des hypermarchés… s’ils avaient un boulot en tout cas.
De jeunes couples souvent équipés d’une poussette les avaient remplacés, pour un premier accès à la propriété immobilière. Ici et là restaient quelques îlots de vieux paves grisâtres, aux volets déglingués, aux arrières cours pavées ou des touffes d’herbes poussaient encore dans les interstices, entre de vieux pneus ou quelques bidons d’huiles. Le tout attendait la démolition qui leur était promise.

Louise remarqua que la boutique ou elle avait acheté sa première et unique mobylette avait disparu, remplacée par une agence immobilière. C’était le patron en personne qui à l'époque lui avait vendu sa mobylette. Bien que pas bien vieux il arborait déjà un ventre plus que proéminent. On aurait pu le prendre pour un chanteur d’opéra si ce n’était cette énorme touffe de cheveux façon Jackson 5 qui ne pouvait appartenir qu’à lui, d’autant plus qu’il était roux.
Louise se souvenait qu’une immense photo en noir et blanc habillait tout un mur de la boutique : un pilote de moto photographié en pleine action pendant une course. La mère du patron lui avait avoué avec un air de satisfaction tout juste couvert par un accent 100% titi banlieusard « C’est mon fils !», en désignant le géant roux. Louise avait regardé le fiston format double mètre cube désormais, étonnée qu’il ait effectivement pu un jour tenir dans l’objectif du photographe.

Aujourd’hui la boutique avait disparu. Une agence immobilière de plus pensa Louise. A part les traiteurs Chinois, rien ne s’inscrivait au registre du commerce plus rapidement que les agences immobilières. Louise s’était fait la remarque que ce qui ne changeait pas dans cette banlieue (et probablement ailleurs) c’était les noms ridicules des programmes de construction : Les Terrasses du Verger, Les Granges de La Vallée aux Loups, Le Parc du Moulin Neuf, etc, etc…

Le bus roulait toujours. Perdue dans ses pensées Louise ne remarqua pas qu’elle aurait pu distinguer un peu plus haut dans la montée, l’immeuble et l'appartement ou elle avait passé toute son adolescence. Elle n’eut donc pas à se rappeler la promesse qu’elle s’était faite en y entrant pour la première fois : pas le moindre regard en arrière le jour ou elle en partirait pour ne plus y revenir.
Le bus s’éloignait, Louise tint sa promesse une seconde fois sans même s'en apercevoir.

Equipee_20sauvage

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9 juillet 2007

Il était une fois dans ce blog...

Bon aller...
Je me lance...

Déjà que j'avais du mal à m'occuper de LVN, voilà qu'en plus je décide de me coltiner un LVN n°2 !!!
Arf !

Donc, ici... Bientôt (très bientôt), LVN² -le petit frère de LVN- va se fendre de ses propres histoires. Pour LaVitaNuda, les petites histoires quotidiennes, les réflexions (oui, enfin, on peut appeler ça comme ça), l'actu du moment, les bidouilles et les machins...
Pour LaVitaNova -LVN² donc- les fictions, les histoires à épisodes et rebondissements, les séries blogosphèrées (sans pub), l'écriture tu vois (comme on dit chez les cultureux). Bref... euh... les bidouilles et les machins !?
Mais pas les mêmes.

Encore moins les mêmes parce que les commentaires vous restent ouverts, et que vous pourrez influencer l'histoire en cours si ça vous dit. Vous pourrez proposer des personnages, d'influencer l'histoire, proposer des mots à y faire figurer, des réferences, des images, des photos, des palindromes ou des oxymores... Bref... Vous pourrez proposer vos... euh... vos trucs et vos machins !
:-)

A moi de prendre ou de laisser, tel quel ou en transformé (mais vous serez cités, et installés dans la colonne des liens).
Bref, j'espère qu'on va bien s'amuser (au moins moi, uh uh uh...) !

Vous pouvez commencer dès maintenant, ou attendre le 1er épisode (aglagla !).
Mais même pour lire et pi c'est tout, soyez les bienvenus !

storytelling_todd_solondz

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